Out of order (Mia)

|	out of order  ; Alex & Mia

Perdu entre deux allées de cette vaste librairie, Alex tombe nez à nez avec le bouquin qu’il a écrit et fait publier il y a quelques mois, sous un pseudonyme féminin. Juste au-dessus du livre en présentation, mis en avant au milieu de tous les autres, une banderole précise Numéro un des ventes. Il en revient toujours pas que cette histoire, pâle copie de Cinquante nuances de grey soit parvenue à attirer l’attention de milliers de lecteurs, des journaux puis de tous les autres médias l’ayant jugé digne d’intérêt, au point de décrocher à ce jour le titre de bestseller. Et pourtant, personne ne sait qu’il est l’auteur de cet ouvrage, même pas ses amis, qu’il n’a pas osé mettre dans la confidence afin de ne pas en être la risée.

Rapidement, il détourne le regard de ce rayon contenant les plus gros succès marketing de la littérature, pour se diriger vers les classiques du siècle dernier. Il arrache un bon vieux John Steinbeck de l’une des étagères avant de se diriger vers la caisse. La jeune femme derrière celle-ci scanne le code barre sur la quatrième de couverture, lui annonce le prix, encaisse son argent puis lui donne son ticket avec un sourire mécanique, avant de tourner la tête vers le client suivant. En lui souhaitant une agréable journée, il quitte la boutique, son bouquin sous le bras, et s’avance vers la devanture du fast food situé à quelques pas de là à peine. Il passe commande, et ressort de là avec un sachet cartonné rempli de junk food qu’il digèrera seul dans sa maison de Spring Garden avec un verre de whisky.

Sans prêter attention aux personnes qui déambulent autour de lui, il s’avance vers l’ascenseur qui le conduira bientôt au parking du centre commercial. Doucement, il presse le bouton d’appel et au bout de quelques minutes, lorsque la cabine arrive à sa hauteur, les lourdes portes métalliques s’ouvrent, sur une silhouette qui lui semble familière. Il fait un pas en avant, et s’arrête aussitôt, lorsqu’il reconnaît le visage de Mia. Il bat des cils, croit rêver mais non, c’est bien elle.

- Salut… qu’il souffle du bout des lèvres, ne pouvant pas faire semblant de ne pas l’avoir vue alors que ça fait approximativement cinq secondes qu’il la fixe avec la bouche entrouverte.

Il finit par sortir de cet état d’immobilité soudaine pour pénétrer à l’intérieur de la cabine et ordonner la fermeture des portes en pressant un autre bouton. L’ascenseur se remet aussitôt en marche mais au bout de quelques secondes à peine, alors qu’il amorce la descente, il s’arrête de nouveau. Dans un premier temps, Alex se contente de froncer les sourcils mais se convainc intérieurement qu’il doit s’agir d’un léger problème technique, et que la machine devrait bientôt repartir. Mais puisque l’arrêt perdure, il se décide à presser à nouveau le bouton correspondant à l’étage -1, où se trouve le parking. Pas de réponse de la part de l’appareil. Il lâche un rire nerveux, ayant bien du mal à croire qu’il puisse être coincé ici avec son ex petite amie, la première femme à lui avoir brisé le coeur, ouvrant les portes d’une malédiction qui ne semble s’être jamais essoufflée.

- On n’est quand même pas coincés là…

Frénétiquement, il presse à nouveau le bouton, se parlant davantage à lui-même qu’il ne s’adresserait à Mia, parce qu’il n’a pas vraiment envie de lui parler après tout le mal qu’elle a pu lui faire. Mais Alex a beau s’énerver, réitérer les actions, rien ne se produit.

- Je crois que je vais devoir appuyer sur le bouton d’appel d’urgence, on dirait qu’il y a une panne… soupire-t-il, complètement désespéré.

Sans attendre la réponse de Mia, il appuie sur le bouton rouge et dès qu’une voix se fait entendre dans l’interphone, il explique la situation. L’opératrice lui fait savoir qu’un dépanneur viendra les délivrer dès que possible, et cette indication floue ne l’aide pas vraiment à se rassurer.

- Bon bah… Tu l’as entendu comme moi. Je crois qu’on va devoir poireauter ici un moment… lâche-t-il, exaspéré, haussant les épaules avant de s’adosser contre la paroi métallique pour se laisser glisser jusqu’à ce que ses fesses touchent enfin le sol de la cabine.

|	out of order  ; Alex & Mia

Alex est mal à l’aise, gêné, et tout ce qu’il souhaite à cet instant précis, c’est d’avoir suffisamment de chance pour que l’appareil se remette miraculeusement en route. Mais évidemment, ça n’arrivera pas. Et la voix monocorde de l’interlocutrice à laquelle il s’adresse à travers l’interphone de l’ascenseur ne le rassure en rien. Il va donc véritablement devoir passer les prochaines minutes - voire les prochaines heures - enfermé dans cette minuscule cabine avec Mia, son ex, celle qui lui a piétiné le coeur sans la moindre once de regret ? Certes, c’était il y a un moment déjà. Peut-être même qu’elle ne se souvient pas de lui - vu la rapidité avec laquelle elle a tourné la page - mais lui, il se souvient de la douleur qu’il avait ressentie à l’époque comme si c’était hier. En fait, il lui suffit même de prendre conscience de cette proximité physique avec Mia pour réaliser qu’encore aujourd’hui, il a bien du mal à tirer un trait définitif sur les événements passés.

Alex est tellement blasé qu’il ne comprend pas l’humour derrière la première phrase qu’elle articule et qu’elle lui adresse, sans doute pour détendre un peu l’atmosphère tendue qui règne dans la cabine alors qu’il se laisse déjà glisser le long de la paroi, sans prendre la peine de masquer le dépit qui déforme son visage.

- Désolé mais j’aurais préféré passer ma soirée ailleurs qu’enfermé dans cette minuscule cabine d’ascenseur… lui signale-t-il avec son air d’éternel rabat-joie, ne pouvant retenir plus longtemps un soupir de désespoir à l’idée d’être coincé ici pour un temps encore indéterminé.

Combien de temps faut-il à un dépanneur pour remettre un ascenseur en marche ? C’est une question qu’il ne s’était jamais posé avant aujourd’hui et soudainement, il a quelques regrets à ce sujet. Mia finit par s’installer en face de lui.

- Toi non plus, lui lance-t-il en désignant, d’un geste du menton, l’énorme paquet de croquettes qui se trouve juste à côté d’elle.

Il y a une pointe d’humour dans sa voix mais en même temps, il se demande si sa rancoeur pourrait être si forte au point qu’il se refuse à partager un peu de son repas avec Mia si leur attente venait à s’éterniser, si bien qu’elle serait finalement obligée de se rabattre sur le contenu du sachet qu’elle vient d’acheter. Non, certainement pas… Il n’est pas mesquin à ce point-là, Alex.

- T’en fais pas, j’ai un gobelet dans mon sachet. Je le sacrifierai avec joie si l’un de nous ressent une envie pressante. Par contre, pour l’intimité, on repassera…

Mais Alex ne préfère pas penser au pire tout de suite. Ils ne vont quand même pas restés coincés ici pendant plus de deux heures… Si ? Cette idée l’angoisse un peu, mais il préfère jouer la carte du type qui s’en contrefiche, ce qui ne doit avoir absolument rien de crédible. D’ailleurs, il n’a pas fallu plus de quelques échanges à Mia pour qu’elle prenne conscience de la tension qui émanait de lui seul, et le lui fasse remarquer.

- Non, j’t’en veux plus, mais j’ai pas oublié non plus quoi… Tu peux pas me reprocher d’avoir mal pris ce que t’as fait, quand même.

Alex n’était pas vraiment prêt à crever l’abcès aujourd’hui, ni jamais. En fait, il aurait même très bien pu appliquer la politique de l’autruche pour les heures à venir, jusqu’à ce qu’on daigne enfin venir les délivrer, quitte à garder le silence jusqu’à ce que les portes s’ouvrent à nouveau. Mais Mia ne semble pas être exactement du même avis.