weaving time in a tapestry (alex)

|	Weaving time in a tapestry  ; Alex & Lilith

Les crises s’étaient intensifiées, rapprochées, se manifestaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, si bien qu’Alex avait pris la décision de passer plusieurs nuits d’affilée chez ses parents afin de relayer son père et qu’il n’ait pas à affronter tout ça seul. Car Victor n’était pas le genre d’hommes qui demandaient de l’aide. Victor n’était pas le genre à se plaindre, par crainte de déranger les autres, y compris son fils. Sauf qu’Alex, il aurait fait n’importe quoi pour sa mère, même si ça faisait des semaines qu’il n’était plus certain de la reconnaître, même s’il avait le sentiment qu’une étrangère avait usurpé sa place. Une étrangère qui manifestait sa présence de manière inopinée, par des cris inexpliqués, des terreurs sans raison fondée, qu’Alex avait de plus en plus de mal à calmer.

Ce jour-là, complètement dépassé, à bout de force, et seul face à une colère qu’il ne maîtrise plus, il se résout à la conduire aux urgences de l’hôpital. Les médecins et les infirmiers, ils sauront sans doute mieux y faire que lui, ils trouveront sans doute le remède à cette maladie mystérieuse que les paroles rassurantes sont jamais parvenues à soigner. Madison reste en boule sur la banquette arrière de la voiture durant tout le trajet et dans un sens, ça arrange grandement Alex, qui n’a pas à choisir entre garder les yeux rivés sur la route et faire en sorte que sa mère reste calme. Il la mène péniblement jusque dans le hall, alors qu’elle pousse des gémissements de douleur comme si son cerveau s’était soudainement mis à bouillir de l’intérieur. Il craint de devoir poireauter là des heures avec sa mère dans cet état, car elle ne serait pas dans un état suffisamment grave pour être prise en charge rapidement. Mais : miracle ! L’infirmière semble lire la détresse dans son regard, car elle décide finalement d’embarquer Madison, assurant à Alex qu’elle reviendra vers lui plus tard.

Il jette un dernier regard inquiet en direction de sa mère, qui disparaît au coin d’un couloir sans se retourner vers lui. Est-ce qu’elle a seulement conscience que c’est lui qui l’a amenée jusqu’ici ? Qu’elle se trouve entre les murs blancs d’un hôpital ? Sans doute que non, mais il devra se faire une raison. Il fait volte-face pour aller s’effondrer sur l’un des sièges de la salle d’attente, mais tombe nez à nez avec un visage familier avant d’avoir pu rejoindre une chaise en plastique.

- Salut, qu’il répond à Lilith avec un maigre sourire, une nana qui allait avec lui au lycée et dont il a plus jamais entendu parler une fois qu’il a quitté l’école pour rejoindre la fac.

Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle a l’air épuisée, triste, la tête à l’envers, un peu comme lui. Est-ce qu’elle accompagne quelqu’un ou a-t-elle elle-même un problème ? Elle n’a pas l’air d’avoir quelque chose de cassé en tout cas. Du moins, c’est ce qu’il conclut en laissant traîner un furtif regard sur sa silhouette, alors qu’il vient s’asseoir sur l’un des sièges à l’autre bout de la pièce.

- Tu lis quoi ? qu’il demande d’une voix peu assurée, juste pour faire la conversation, parce qu’il a parfaitement reconnu la couverture du bouquin qu’elle tient entre les mains et qu’elle qualifie de torchon.

Ce livre, c’est lui qui l’a écrit alors comment pourrait-il ne pas le reconnaître ? Pourtant, il doit feinter l’innocence, ne pas montrer qu’il se sent brusqué quand elle attaque directement le fruit de ses entrailles et de longues nuits d’insomnie.

Elle relève la tête pour l’interpeller d’un quoi ? agressif, mordant, acerbe, sans qu’il comprenne pourquoi il aurait mérité une telle férocité. Il bat des cils en la regardant bêtement, sans trop savoir quoi répondre.

- Rien ! Rien du tout !

Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, se dandine légèrement sur son siège pour tenter de se rendre un peu de contenance avant de poursuivre :

- Je me demandais juste ce que tu faisais ici.

Va-t-elle l’envoyer chier une fois de plus ? Ou acceptera-t-elle cette main maladroite qu’il lui tend ?