que no sea mañana / aria

deprisa, deprisa, deprisa, que no sea mañana
feat @aria caldwell et @lola ortega

La faune se jette dans le fleuve. Une multitude triangles verts et touffus le bordent délicatement. Le ciel bleu d’été se confond avec l’eau paisible, au courant presque inexistant. Les quelques nuages qui maquillent le ciel, se réfléchissent à la surface, comme de petits morceaux de coton qui flottent au gré de la brise. Il y a une certaine tranquillité, ici. C’est paisible, d’écouter la nature murmurer sa mélodie loin du tumulte de la ville. Il y a quelque chose de reposant, à accueillir le silence. Et puis il y a Aria, et ses cheveux bleus vibrants. Un flash éclatant, pour déranger l’harmonie ambiante. Une insolence, qui fait sourire Lola. Aria, c’est cette palette de couleurs riches et éblouissantes. C’est cette poésie, qui la guide depuis sept ans, comme une muse. Pourtant, son trait de crayon s’arrête, et se fige. Une fois, deux fois, trois fois. L’inspiration est capricieuse, fluctuante. Elle est cette humeur, qui dicte ses gestes, qui est l’essence même des tableaux qu’elle peint. Ses prunelles alternent entre son modèle docile, et la page quasi vierge de son cahier à dessin. L’agacement se ressent dans chaque pore de sa peau. Envers elle-même, envers son palpitant qui s’agite, envers lui, eux. Les hommes, les sentiments. Les coups. Ces bleus parsemés et semés à des endroits stratégiques de sa silhouette. Jamais le visage, l’épaule, la nuque. Des traces de doigts qui, elle se persuade, ont été laissées par une passion animée qu’elle ne comprend pas. Parce que c’est ça, l’amour, non ? Une adoration dévorante, un brasier inflammable en un claquement de doigts. Son regard se pose une nouvelle fois sur Aria, les yeux remplis d’une nouvelle curiosité. Sur les tatouages qui remplacent les bleus qu’elle a vu, y a longtemps. Les questions avaient glissé naturellement des lèvres de Lola. L’imprudence de la jeunesse. L’indiscrétion d’une ado à qui on ne disait pas non. Des questions laissées sans réponses, qui se sont éteintes toute seule, à force. Mais aujourd’hui, elle se demande, Lola. Comment ? Par quel moyen ? Pourquoi ? – J’arrive à rien, qu’elle lâche en se redressant. Elle pose le crayon au milieu du carnet, et referme ce dernier dans un soupire. – Je me demandais si... Les mots s’entrechoquent au fond de sa gorge, alors que ses iris se perdent entre l’horizon, et celles d’Aria. Elle s’interroge sur les prix d’une confession, sur les aveux d’un comportement qu’elle a du mal à assimiler. – J'me demandais si tu m’en voudrais de t’avoir fait perdre ton temps aujourd’hui. Un demi sourire, à la place, et une excuse teintée d’un déni ravageur.

T’as reçu un message de Lola. Elle veut peindre, elle te demandait si t’étais dispo pour une séance. Ça t’a surprise — ça fait un moment que vous ne vous étiez pas vues. Mais ça te dérange pas d’aller poser pour elle. Ça te fait te sentir un peu mieux, même. Ça fait grimper ta confiance en toi, t’as l’impression de redorer ton image à chaque regard, chaque coup de crayon qu’elle pose sur le papier. Tu te sens importante, en fait. Suffisamment importante pour qu’elle te choisisse. Qu’elle choisisse de te représenter.

Alors tu finis par la rejoindre au parc où passe le fleuve. Un cadre assez Frenchy — est-ce qu’elle va t’ajouter à l’univers romantique de Monet? Ça sera la surprise. T’as gardé tes cheveux bleus éclatants, elle t’a dit que ça contrasterait avec le reste et que c’était potentiellement une bonne idée. Et à peine installée, elle commence à crayonner. Toi, t’évites de bouger, habituée. Même si c’est dur. Parce que tu sais pas vraiment rester en place. Mais tu fais un effort, parce que tu sais à quel point elle est perfectionniste et elle risquerait de (gentiment) t’engueuler. Ton corps évite de bouger, mais ton regard se promène un peu partout — si bien que tu ne la vois pas s’agacer derrière son carnet.

"J’arrive à rien." Et elle referme sèchement son support de dessin. T’es un peu confuse, tu comprends pas trop le pourquoi du comment. "Je me demandais si…" Si…? T’attends, presque pendue à ses lèvres, presque qu’impatiemment, peut-être un peu inquiète aussi, puisque ça ne lui est jamais arrivé depuis toutes ces années où vous avez travaillé ensemble. "J'me demandais si tu m’en voudrais de t’avoir fait perdre ton temps aujourd’hui." Aussitôt les mots prononcés, tu roules des yeux. "Mais non, t’inquiète. Tu m’as pas fait perdre mon temps, c’pas grave. Si t’y arrives pas, t’y arrives pas. On peut pas toujours réussir à tous les coups, tu feras mieux la prochaine fois." Tu hausses vaguement les épaules pour insister sur le fait que c’est pas la fin du monde. Et puis tu te lèves, tu t’étires pour te dégourdir les membres. C’est pas facile pour une hyperactive de rester immobile, on se sent facilement piégé. Tu reposes ton regard sur elle et tu lances la question innocemment : "Qu’est-ce qui va pas?" Parce que tu comprends bien qu’y’a un truc qui la frustre et la bloque.

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