bring the pain ft Chiara

rain be pourin' sky keep fallin everyday
feat @jamal abalhadj et @chiara andrei
Et tu cours, cours. Comme un dératé, à t’en arracher les poumons, à t’en arracher la peau sous les pieds dans les rues de cette ville qui t’as vu naitre et perdre espoir en l’humanité. Tu cours à la recherche de quelqu’un, d’un adulte qui pourra t’aider, vous aidez. Car maman elle se fait frapper, maman elle est en train de souffrir car papa il est d’humeur massacrante aujourd’hui. Parait-il qu’elle fait pas assez bien son rôle de femme au foyer, qu’elle réfléchit comme une gamine et qu’elle devrait plutôt s’occuper de son toutou d’fils qui ne fait rien d’autre que pleurnicher. Et c’est vrai que tu pleures Jamal, c’est vrai que tu finis souvent les larmes aux yeux car ton père il agit pas en tant que tel. Papa il est froid, glaciale même. Papa il veut que tu sois un homme alors que t’as que six ans, papa il voudrait que tu ne traines pas dans ses pattes alors que toi, t’as juste envie d’avoir un tout petit peu de son attention. Alors elle se fait martyriser, se fait rouer de coup dans le salon de votre maison en essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas interpeler les voisins ou quiconque passerait dans les couloirs de votre immense maison.

Alors tu cherches encore et toujours sauf que les rues sont vides et tu t’épuises. T’es qu’un gamin Jamal, un p’tit garçon vidé de son énergie qui se rend compte qu’il tourne en rond depuis des heures. Alors tu t’arrêtes, à bout de souffle, les larmes se mettant à perler sur tes joues. Car t’es désespéré, fatigué et que t’arrives même plus à savoir d’où tu viens et comment tu vas faire pour retrouver ta mère à partir de maintenant. Et tu pleures Jamal, à grosses larmes, te remet à courir en essayant d’ouvrir toutes les portes d’entrée qui sont sur ton chemin jusqu’à tomber sur la bonne. T’as l’impression d’en ouvrir des centaines – non, des milliers même de ces putains de porte et lorsqu’enfin tu trouves la bonne porte c’est sur le corps ensanglanté et inerte de ta mère que tu tombes. Le corps sur lequel tu te jettes en larme, le secouant pour réveiller qui restera à tout jamais endormie. Tu hurles Jamal, hurle à t’en arracher les cordes vocales, tu pleures à en faire rougir de honte les océans. T’es démuni, dans ce corps de petit garçon inutile.

Et soudainement tu sens des mains t’attraper par les épaules, une voix au loin qui se fait entendre. Ton prénom répété à multiples reprises jusqu’à que t’ouvres les yeux, reprenne ta respiration comme si t’avais passé les vingt dernières minutes sous l’eau. D’abord c’est le trou noir puis petit à petit c’est du blanc, éparse des pigments de couleur qui s’ajoute petit à petit jusqu’à que tu vois son visage au-dessus du tien. Perdue, presque apeurée. Chiara les épaules dénudées, emmitouflé dans les draps qui te parle sans que tu saisisses grand-chose. Tu clignes alors des yeux, essaie de focus sur ce qui vous entoure. La pièce est sombre, le clair de lune se laisse à peine apercevoir derrière les persiennes. C’est pas ta chambre mais celle de Chiara. Tu t’es endormie là par flemme de rentrer chez toi après avoir passé la soirée avec elle, à donner le meilleur de toi. Sauf que là, c’est tout le contraire qui se passe. Chiara elle voit la pire face de ta personne, ce côté faible, fragile et brisé que tu caches si bien depuis toujours aux yeux de tous. Et ça te dégoute qu’elle voit ça, ça te donne la gerbe qu’elle puisse remarquer les éclats translucides s’agglutiner sur tes joues, s’accrocher à tes cils. Alors tu caches ton visage à l’aide de ton avant-bras, respire un grand coup pour calmer cette envie de vomir qui te colle à la gorge. Sauf que ça passe pas, jamais aussi facilement, aisément. Alors tu te décides à te lever, file dans la salle de bain comme une boule de canon déverser ta rage et ton dégout au fond de la cuvette la porte savamment fermé derrière toi. L’eau que tu laisses couler dans l’évier, un long moment avant de te décider à te rincer la bouche, le visage. Tenter vainement d’effacer toutes ces horreurs ancrées en toi. Puis tu finis par revenir dans la chambre toujours aussi sombre, te pose au bout du lit sans même tourner la tête vers Chiara. Tu l’sais qu’elle dort pas, tu sens son regard braqué sur ton dos, ses opalescences qui essaie de te transpercer dans le silence.

- J’suis désolé si j’t’ai réveillé, j’vais décaler pour pas t’embêter.

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feat @jamal abalhadj et @chiara andrei
La nuit aurait pu être paisible, dans cette chambre de Polar Street ; les rideaux tirés et la pièce plongée dans l’obscurité, Chiara s’était assoupie avec une facilité rare, aux côtés de Jamal qui avait décidé de rester – pour une fois. Et puis il y avait eu ces gémissements plaintifs, assez forts pour la réveiller. L’agitation à ses côtés, sur le matelas, qui l’avait poussé à ouvrir les yeux. Remarquer Jax et son corps tendu, son visage crispé. Visiblement victime d’un mauvais rêve. Alors elle l’a appelé, d’abord doucement, et puis plus fort, et comme il ne semblait pas se réveiller elle est venue lui tapoter l’épaule. Mais là encore cela n’a rien changé, et les sourcils qui se froncent légèrement, Chiara qui se réveille un peu mieux, se décide à se redresser. Les yeux qui se plissent dans la pénombre, c’est seulement lorsqu’elle se penche sur lui qu’elle distingue les sillages translucides qui se perdent sous ses yeux, sur ses joues. Image rare, image qu’elle n’aurait jamais cru voir, et pourtant ; y a ses mains qui se perdent un instant sur ses joues pour tenter d’effacer les larmes, sur son front dans l’espoir qu’il s’apaise sous ses doigts – sans succès. Et soudain l’urgence de le réveiller, pour le sortir de là – car Dieu seul sait où il se trouve présentement.

- Jax ! Jax, réveille-toi !

Sa voix qui résonne dans la chambre et ses doigts fins qui agrippent ses épaules, le secouent encore et encore.

Réveille-toi, putain.
Allez, qu’est-ce qui t’arrive Jax ?
T’as l’air si mal,
moi j’t’ai jamais vu comme ça et ça me fait peur.

Et enfin il ouvre les yeux. L’inspiration qui se fait grande, si grande, comme au sortir d’une apnée. T’arrivais même plus à respirer, Jax… ? Les yeux qui clignent, la fixent d’un air absent, papillonnent tout autour. L’air paniqué – l’air apeuré. Et seulement alors elle se décide à le lâcher, à s’écarter. Sans savoir quoi faire – quoi dire –, vaut mieux qu’elle le prenne dans ses bras ou qu’elle le laisse se calmer dans son coin ? Qu’elle essaie de l’apaiser, de comprendre, ou simplement qu’elle se taise ? Elle sait jamais, avec lui – il est sans doute encore plus compliqué à cerner qu’elle.

- C’était qu’un mauvais rêve, qu’elle souffle hasardeusement, naïvement.

Bien loin de se douter de la réalité.
Que ce n’est pas son imagination qui torture ses nuits,
mais bien des souvenirs.
De vrais souvenirs,
de violence et de sang.

Et il ne répond rien. Se cache plutôt derrière son bras, avant de se lever d’un bond pour se ruer dans la salle de bain. La porte close qu’elle fixe lorsque la bile se déverse au fond de la cuvette, et lorsque l’eau s’écoule dans le lavabo durant Dieu sait combien de temps. A se repasser les dernières minutes en boucle dans sa tête, s’efforcer d’assembler des pièces de puzzle dont elle ne dispose pas.

Il t’arrive quoi, Jax ?
Déjà à l’époque tu dormais mal,
mais tu m’as jamais fait ça.
Qu’est-ce que tu ne dis pas ?

Puis il y a la porte qui s'ouvre, et sa silhouette qui se dirige vers le bout du lit. Sans un mot, silence de plomb dans la chambre, les prunelles bleutées rivées sur lui – comme un chat parfaitement à l’aise dans le noir, sauf que Chiara, elle, ne discerne quasi rien. Et une fois de plus elle ne sait que dire, pas plus qu’elle ne sait quoi faire. Est-ce qu’y a quelque chose à dire dans ce genre de situation, même ? Ces putains de situations où l’on marche si bien sur des œufs qu’on a le sentiment que quoi qu’on dise ou qu’on fasse, ce ne sera pas la bonne chose – et pour ce qui doit être la millième fois, elle regrette que la vie ne vienne pas avec un mode d’emploi. Puis y a sa voix pour l’arracher à ses pensées. Voix rauque qui résonne dans la pièce silencieuse, Jamal qui s’excuse, déclare qu’il va partir pour ne pas l’embêter davantage. Un rapide coup d’œil vers la fenêtre où la lune est haut dans le ciel – va savoir quelle heure il est, ce doit être le beau milieu de la nuit.

- C’est rien.

Je dormirais dans la journée, puis j’irais pas bosser si j’suis tant fatiguée que ça.

- Et non… Reste. Tu vas pas rentrer maintenant, en pleine nuit, comme ça, qu’elle ajoute très vite.

Et moi j’vais pas te laisser tout seul, car t’as vraiment pas l’air bien. A moins que ce soit ce que tu veux ? Ce dont t’ai besoin ? T’as besoin de quoi, Jax ?

- Moi aussi, désolée de t'avoir réveillé hein...

Les yeux qui roulent dans le noir, même s'il peut pas le voir, et un faible éclat de rire qui sonne étrange dans le silence de la chambre.

- Plus sérieusement, c'était la bonne chose à faire, nan... ?

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feat @jamal abalhadj et @chiara andrei
Tu l’entends sa voix, au loin, trop doucement pour prendre en compte ce qu’elle raconte pour autant. T’es trop chamboulé pour ça de toute façon. Car évidemment que ce n’est qu’un rêve mais un rêve trop réel, trop proche de la réalité quand même. Ta mère à l’heure qu’il est tu sais pas où elle est, ce qu’elle fait. Elle est encore en vie ou bien elle a succombé à ton bourreau de père comme dans tes rêves ? T’en sais rien, on te dit rien. Ta tante ne t’a jamais plus parlé de tes géniteurs et t’as pas cherché non plus à savoir. Du coup t’es dans un flou total, tu sais pas si t’es orphelin, si ta mère a juste fait le choix de ne pas revenir vers toi. Et les années ont beau être passé t’es dans le mal en pensant à tout ça. Assez mal pour aller déverser tes tripes et tes boyaux dans les chiottes de Chiara.

Acidité dans le fond de la gorge, douleur lancinante dans le fond de la poitrine tu reviens dans la chambre de la blonde qui se retrouve réveillé par ta faute à pas d’heure. Encore combien d’année tu vas souffrir ainsi avant de passer à autre chose ? T’aimerais perdre la mémoire parfois Jamal. Même une seule journée, juste oublier que t’as vu des choses pareilles se passer sous tes yeux d’enfant encore innocent. Mais la vie ne te fera pas ce cadeau, tu l’as bien compris. Toi tu fais partie de ce cercle privé du commun des mortels qui doit porter sur ses maigres épaules les horreurs du monde. Une seule âme pour vivre avec le fait d’avoir vu sa mère être battue jusqu’à la voir saigner, tomber au sol ; vécu avec l’espoir qu’un jour elle te rejoindrait ici à Philadelphie pour recommencer une nouvelle vie après t’avoir lâché chez sa sœur en attendant que les choses se calment. Des espoirs partis en fumé lorsqu’elle n’a plus jamais écrit, que plus jamais t’as reçu une seule lettre de sa part en provenance de ton pays d’origine. Plus aucun signe de vie. Enfant de Riyad à tout jamais devenu un enfant des États-Unis à partir de cette fracture dans la famille. T’as même parfois du mal à entendre ton propre prénom, encore pire ton nom de famille mais parait que t’es obligé de t’y faire, obligé de vivre avec. C’est ton oncle qui l’dit.

Mais si toi t’es obligé de vivre avec ton fardeau, Chiara elle n’a pas à vivre tes nuits d’horreurs. Alors tout doucement, la voix enrouée tu la préviens que tu vas prendre tes affaires et t’en aller. Au moins elle pourra reprendre sa nuit là où elle l’a laissé. Mais parait que c’est rien que tu l’ai dérangé, que tu peux rester aussi, que t’as pas à partir comme un voleur en pleine nuit. Mais la nuit c’est ton horreur. La nuit t’aimerais qu’elle soit déjà passé et tu te dis que marcher ça serait le meilleur moyen pour décompresser, la meilleure façon de lâcher prise et puis d’ici que tu sois chez toi le jour aura commencé à se lever. Mais t’es dans le flou complet, tu trembles encore un peu. T’es flageolant Jax et lorsque Chiara s’excuse de t’avoir réveillé tu laisses ton dos partir en arrière, ta tête venir se plaquer contre la couette tandis que tes prunelles se rivent sur le plafond sombre, presque noir comme tes songes.

- Non t’as bien fait … T’excuse pas pour ça, c’est moi j’ai un pète au casque.

C’est même plus un pète mais plutôt une brèche, un fossé à ce stade-là. Chiara dont le sourire ricoche entre les murs de cette chambre qui vient de connaitre tes premières larmes, ce supplice que te fait vivre Morphée trop de nuit par mois. Elle te fait sourire, tristement à te demander si c’était la bonne chose à faire de te reveiller quand t’es dans cet état-là.

- T’inquiète, tu m’as juste évité de longues minutes désagréables en plus c’était la meilleure décision à prendre.

Un peu comme abattre un chien à l’agonie. Un silence qui s’installe de nouveau dans la pièce, un bâillement qui sort d’entre tes lippes et en ricochée fait bailler la blonde placée plus haut dans le lit. Foutu mimétisme.

- Tu devrais dormir Chiara, wallah ça sert à rien de rester reveiller comme ça tu perds ton temps … J’finirais par me rendormir avec un peu de chance …

La tête que tu tournes vers elle avant de te redresser, quitter son matelas et te diriger vers le pas de sa porte, t’es prêt à sortir lorsque tu te tournes derechef et lui dit :

- J’vais me chercher un truc dans le frigo, tu veux un truc avant de dormir ?

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